Anne Le Troter

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[LECTURE]
Échanges réalisés à distance lors du premier confinement en France, de mars à mai 2020, qui se sont poursuivis sept mois plus tard lors d’une rencontre à la Bergerie Nationale de Rambouillet en décembre 2020.

Première partie

Lauren: Anne Le Troter, tu es artiste sonore, une plasticienne. Une artiste qui joue précisément de la plasticité, de la malléabilité de la langue et en particulier de la parole. Tes outils de travail sont le microphone et l’enregistreur. Depuis plus de neuf ans, tu enregistres des paroles: la tienne autant que celles des autres. Par le montage audio, tu les manipules, les désarticules, les recomposes, pour nous les donner à entendre—altérées—dans des espaces d’expositions. Tu as évoqué dans un précédent entretien(1), que cet engouement a commencé le jour où ton école d’art a acheté un microphone enregistreur. Tu as alors commencé à enregistrer ta voix et à la monter, en coupant les silences entre les mots. Ces manipulations ont donné lieu en 2011 à une série d’improvisations dont une intitulée Fifi, Riri, Loulou. Par la suite, tu en es venue à déplacer ton microphone de ta bouche à celles des autres. Je pense notamment aux pièces Les mitoyennes et Liste à puces, composées toutes deux à partir et avec la voix d’enquêteur·rice·s téléphoniques d’un Call Center. Peux-tu nous expliquer ton choix de glisser de l’enregistrement d’une voix singulière (la tienne témoignant—d’après tes mots—d’une «pensée en train de se formuler») à l’enregistrement d’une voix générique (la leur, ordonnée et dirigée selon des protocoles d’enquêtes téléphoniques)?

Anne: Le geste de l’avant-bras, qui part de ma bouche pour aller vers celles des autres, c’est aussi le geste pour se muscler le biceps et j’aime bien imaginer mon enregistreur comme un coach sportif ou comme une plateforme de rencontre: une sorte de Tinder de la parole. Mon enregistreur était et reste un objet intime auquel je ne cesse de parler. C’est ma façon d’envisager le monde, de chercher à le comprendre. C’est aussi ma façon d’écrire. J’écris en enregistrant des phrases, en les écoutant et finalement en les transcrivant. Depuis neuf ans, j’écris une sorte de monologue continu, une pensée toujours en train de se formuler, comme dans Firi, Riri, Loulou. Je colle mes lèvres sur le microphone de mon enregistreur, je l’embrasse.
En 2013 est paru mon livre L’encyclopédie de la matière aux éditions Héros-Limite, dans lequel j’ai retranscrit certaines de mes premières pièces sonores. Ce livre retrace donc un état des lieux de mes connaissances à un moment T. Il ne fait que 40 pages. J’ai senti que cette pensée en train de se formuler avait besoin d’être alimentée et pour cela, il fallait que je laisse la parole. Pour me clore le bec rien de mieux qu’un baiser muscler avec mon contemporain. Or à l’époque, mon travail alimentaire était enquêtrice téléphonique. C’est performatif d’être enquêtrice téléphonique. On répétait tous les mêmes phrases pendant des heures, pendant des semaines. C’était presque un chant, une ritournelle cruelle, une chorale cacophonique. On connaissait par cœur les sondages. Nous répétions pendant des heures les mêmes questions aux sondé·e·s. À cela s’ajoutait le fait—sous prétexte de qualité—d’être potentiellement écouté·e·s par nos supérieur·e·s. Nous nous trouvions dans une situation de contrôle de la parole. Cette situation était l’exact opposé de ce que je faisais en tant qu’artiste avec ma parole débordante, inutile parce que contre productive, solitaire et non contrôlée. J’ai eu le sentiment que le foisonnement de la parole d’enquêteur·trice·s téléphoniques pouvait m’aider à construire un corps incontrôlable. Un sondage téléphonique n’est que la classification des idées, de ce qu’il faut penser et nous étions—nous enquêteur·trice·s téléphoniques—les messagers de ce discours. On était des sortes de livreur·euse·s Deliveroo de la pensée tiède, écrasée dans nos boîtes en carton en forme de téléphone.

Lauren: Cette intention de tendre le bras muni d’un microphone dans un contexte spécifique (celui du Call Center) pourrait s’apparenter dans un premier temps à la pratique du field recording: arpenter un espace avec un micro-enregistreur et en conserver la trace. Néanmoins, tu dépasses la captation naturaliste ou documentaire par l’entrée en jeu d’un protocole de rencontre collective écrit par tes soins. Peux-tu nous éclairer sur ton mode opératoire de captation qui précède le montage? Qualifies-tu cette captation de collaborative?

Anne: La collaboration avec les participant·e·s pour Les mitoyennes a commencé par une série de questions à laquelle ils et elles ont répondu avant l’enregistrement. Il s’agissait de les questionner sur ce travail, sur leur propre expérience. Avec le recul, je me dis que c’est assez cocasse d’avoir établi un questionnaire pour tenter de mettre à plat ce travail. En tout cas, cette série de questions s’est construite au fur et à mesure, avec chacun·e·s des protagonistes, pour convenir d’une ligne directrice pour la pièce sonore. Bien souvent quand je fais les choses, je n’ai pas de but défini, c’est lors de l’enregistrement que tout se joue. Les conditions d’accueil de mes collaborateur·trice·s participent grandement à la qualité de la pièce à venir. Pendant l’enregistrement de cette pièce, j’ai rencontré beaucoup d’enthousiasme et de savoir-faire. En effet, grâce aux formations que nous avons reçues en tant qu’enquêteur·trice, nous avons appris à avoir une bonne diction, à maintenir un sourire au téléphone mais aussi à garder le lien avec notre interlocuteur·trice. Au cours de nos rencontres, certain·e·s enquêteur·trice·s m’ont dit des choses intéressantes. Néanmoins, ils ou elles refusaient de les dire de manière individuelle. C’est de là qu’est née l’idée d’une chorale qui permette de répéter à quinze la parole d’une personne. La parole de cette personne était protégée et le montage audio polyphonique allait faire écho à ce que j’avais vécu en tant qu’enquêtrice.

Lauren: De manière récurrente dans tes créations, tu rencontres en chair et en os des professionnel·le·s qui ont la particularité de posséder comme force de travail—d’un point de vue marxiste—leur voix. Que ce soit des enquêteur·rice·s téléphoniques d’un Call Center ou des artistes ASMR, ces professionnel·le·s louent leur voix contre salaire à leur·e·s employeur·se·s ou client·e·s. Ils subissent alors l’aliénation de leur propre voix, devenue marchandise dans l’économie capitaliste. Ta démarche d’artiste permet-elle de venir contester, voire critiquer cette plus-value économique engendrée par l’exploitation de leur voix? Si oui, de quelles manières?

Anne: En effet, la manière dont les entreprises capitalisent sur des voix m’intéresse. La voix dans ce type de travail témoigne d’une individualité mais sans engager son identité, si bien qu’il est plus facile de tout lui faire dire. La parole a quelque chose de frivole par essence, elle s’envole, elle échappe et s’évapore. La parole en entreprise authentifie un corps mais sans pointer un individu: elle appartient à un temps, à un lieu et au corps qui l’a prononcée mais elle s’en échappe aussi sec, en faveur de la firme. Quand j’ai loué ma voix en tant qu’enquêtrice, j’ai découvert une certaine technicité, j’ai appris à mieux maîtriser ma voix mais je me suis aussi très vite ennuyée. On s’ennuie quand on arrête de parler avec sa propre voix, avec ses propres mots. Avec ma propre parole, j’ai surtout ma tête qui fonctionne et toutes mes pensées. Là, j’étais paralysée. Ma tête était pleine d’autres phrases que les miennes.
Ce qui m’intéresse également, c’est la responsabilité de l’entreprise à l’égard de la voix de ses employé·e·s, à qui elle transmet des directives tel qu’un script, des ordres, un chapitrage, etc. Ces directives incluent aussi la censure. Ces voix proviennent davantage de personnages créés par l’entreprise que ses employé·e·s même. Au début, on ne voit pas le mal à parler au nom d’une entreprise pour laquelle on travaille (elles ne sont d’ailleurs pas toutes mauvaises) mais petit à petit, on s’aperçoit que notre voix la représente et l’incarne: l’entreprise rentre dans notre corps pour se nicher sous notre langue comme un cachet, puis se dépose sur nos cordes vocales.
Il est évident que notre voix et ce que l’on dit ont de la valeur, et que cette valeur peut être monétisée. Libre à chacun.e de louer sa voix. Il serait injuste d’apposer à cela une forme d’éthique. La bouche est l’orifice par lequel on parle et par lequel on mange, il arrive parfois que nous fassions preuve de résilience comme cela a été mon cas. Il est aussi intéressant de penser le fait qu’il est légalement possible de commercialiser ce que produisent nos organes (paroles, spermes, ovocytes) mais pas nos organes eux-mêmes, qui eux appartiennent à l’intégrité de nos corps.
Donc il y a ces voix utilisées mais aussi ce que l’entreprise dit d’elle-même en utilisant ces voix et c’est précisément là où se situe mon travail. Quand je commence à former un groupe avec des employé·e·s, je ne cherche pas à contester le positionnement des protagonistes, ni même le positionnement de la société. Ce qui me pousse vers un corps à plusieurs voix, en lien avec un travail, c’est avant tout le désir d’en faire partie sur un temps donné. Cela a été le cas avec les artistes ASMR par exemple. J’avais moi aussi envie de chuchoter à ce moment-là, de parler d’érotisme tout en pensant à la portée politique de cette démarche.

Lauren: Les montages sonores que tu opères dans tes pièces, notamment par la suppression des silences, des respirations ou encore l’isolement d’un phonème, en viennent à créer un concert de voix—une communauté de voix—qui à la fin font corps commun dans l’espace de diffusion. Tu maintiens l’accord des voix entre elles. Il n’y a pas de dissonance mais plutôt une harmonie qui s’opère par la répétition. Est-ce que selon toi, cette communauté de voix tend à devenir une voix générale, voire une voix générique, un corps politique grâce au montage? Quel principe de composition opères-tu pour que toutes ces voix deviennent une?

Anne: Je produis des installations sonores où un groupe de personnes s’adresse à un autre groupe de personnes, les spectateurs. J’aime que la parole soit un événement collectif, autant dans son émission que dans sa réception. C’est pour cela que peu de mes pièces sonores sont données à entendre au casque. J’aime que les gens rient en même temps, s’ennuient en même temps, partent en même temps. J’aime aussi le médium de l’enregistrement sonore parce qu’il peut être diffusé en boucle. C’est donc une parole qui au cours d’une journée ne s’arrête pas et dont la seule façon pour le spectateur d’y participer est de partir à un moment donné.
J’imagine que ce qui m’intéresse en premier avec le groupe, c’est qu’aucune personne ne porte individuellement la responsabilité de ce qui est dit, ni à l’enregistrement, ni au montage, mis à part moi. C’est l’une des raisons pour laquelle j’aime qu’un groupe, et non un individu, porte une idée. Un groupe offre une forme de protection à la parole. Cette idée de protection collective de la parole renvoie à l’anonymat ou à la voix générique. Aujourd’hui, il est encore possible pour une voix de rester anonyme, générique.
Lorsque je demande un enregistrement sonore à un·e protagoniste pour un de mes projets, j’ai le sentiment qu’il ou elle me dit plus volontiers «oui» parce que son image n’apparaît pas. Porter seulement sa propre voix est une forme de liberté jouissive. Cet anonymat des voix est intéressant parce que, certes, il permet à des personnes de dire tout et n’importe quoi, qu’on peut avoir le sentiment d’être moins responsable de ce que l’on dit quand notre image n’est pas en jeu mais l’anonymat permet aussi de parler en maintenant à distance une forme de répression. Une voix qui parle sans son auteur·e, qui est caché pour de bonnes ou mauvaises raisons, c’est une voix qu’on ne peut pas contrôler. J’ai le sentiment que la parole en groupe agit de la même façon, c’est-à-dire qu’elle propose aussi un trouble concernant sa source et que cette flottaison peut permettre une forme de liberté. Que cette possible et/ou utopique liberté provient aussi du médium sonore à l’heure où notre image est de plus en plus présente, analysée, reconnaissable, contrôlée. Que cette possible et/ou utopique liberté provient aussi du médium de la voix, de la parole en groupe puisque comme je l’ai dit plus haut ce que je propose reste évanescent.
Pour que ces voix deviennent une, j’aime qu’au tout départ elles aient quelque chose en commun et comme tu l’as noté dans ta question précédente, ces voix ont en commun de se louer comme force de travail dans nos sociétés capitalistes. J’envisage le groupe également dans son rapport aux dialogues. Tous les groupes que je forme sont des groupes qui se cherchent, qui cherchent ce qu’ils ont en commun, qui cherchent à préciser une pensée qu’ils ont en commun, qu’il faut trouver soit à l’enregistrement, soit au montage. C’est donc un corps formé à plusieurs qui s’exprime dans mes installations. Un corps politique? Oui, je l’espère.

Lauren: En 2018, dans le cadre de la Biennale d’art contemporain
À cris ouverts (6e édition des Ateliers de Rennes), tu as présenté une pièce qui s’intitule The Four Fs: Family, Finances, Faith and Friends. Il s’agit du deuxième volet d’une série d’installations sonores que tu as réalisé à partir d’une base de données accessible sur Internet qui recense des donneurs de sperme. Une base de données qui archive et classifie des centaines de profils de donneurs anonymes pour les présenter à de potentiel·le·s acheteur·se·s. Selon un protocole dicté par la firme, ces donneurs masculins sont nommés par un matricule et décris physiquement, puis psychologiquement par les employé·e·s de la firme. Entre galerie de portraits italienne du XIVe et rayon de la grande distribution du XXe, peux-tu nous en dire plus sur les motivations qui t’ont poussé à pénétrer dans cet univers du portrait en série? En quoi la «galerie des 400 preux» ou la gamme de produit «le père idéal» ont-elles retenu ton attention?

Anne: Je préfère ne pas répondre à cette question. La pièce sonore radiophonique disponible à l’écoute sur ce site s’en charge à ma place.

Lauren: Cette œuvre est ta première création sonore où les voix que l’on entend n’ont pas été captées par tes soins. En effet, tu as travaillé ton montage à partir des voix des employé·e·s de la banque de sperme. Le processus de création par appropriation s’est répandu et «vulgarisé» depuis le début du XXe avec la pratique de Duchamp ou Richard Prince par exemple. Néanmoins, il est plus rare de constater ce processus dans le champ du sonore. Abstraction faite du processus musical des DJ, l’appropriation de l’enregistrement sonore, et en particulier celui de la voix, semble encore peu pratiquer. Si l’on considère les voix enregistrées que tu as utilisées comme des enregistrements produits selon un processus de captation précis, destinés à un circuit de diffusion spécifique, en fonction d’une économie capitaliste, les extraire de leur contexte d’origine pour les utiliser à des fins artistiques te semble-t-il relevé du recyclage, de l’appropriation, voire du vol? Qu’en est-il aujourd’hui du «droit à la voix» comme on parlerait du droit à l’image?

Anne: Sans commentaire.

Deuxième partie

Lauren: En octobre dernier, tu as présenté au nouvel espace de la Fondation Pernod Ricard, ta performance Apolo One(2). Alors que tes pièces précédentes utilisaient une pluralité de voix qui après le montage tendaient à devenir qu’une, avec cette performance, tu es passé de l’emprunt de la voix des autres au don de la tienne. Tu portes la voix des autres. Peux-tu nous en dire plus sur ce choix?

Anne: Je ne sais pas si c’est véritablement un don de ma voix mais il est vrai que c’est une question que je me pose : «et ma voix, à moi?». À force de m’exprimer via la voix des autres, j’ai eu envie d’aller à rebours, de retrouver mes propres mots, comme dans Fifi, Riri, Loulou. Comme tu l’avais souligné lors de notre première rencontre, mes installations sonores sont principalement la résultante d’un groupe qui parle. Pour Apolo One, j’ai eu envie d’appartenir à un groupe parlant. Un groupe qui a été créé de toutes pièces: les personnes qui m’ont prêté leur voix et moi-même nous sommes mis «à la place de». Nous sommes à la place d’autres personnes puisque je ne suis pas parvenue à enregistrer les réels protagonistes. J’aurais aimé que ce procédé de «parler à la place de» participe à une forme d’anonymisation mais je crois que c’est tout autre chose qui s’est opérée dans cette performance. Cette performance combine mes recherches menées au Japon à la Villa Kujoyama au sujet des excuses publiques, et mon histoire familiale: un médecin qui s’entraîne à faire des biopsies sur des foies d’animaux, une femme qui perd son sein artificiel dans l’eau parce qu’elle a subi une mastectomie, etc. D’ailleurs, le texte de cette performance pourrait être mis en lien avec Claire, Anne, Laurence, une pièce de théâtre datant de 2013, dans laquelle je parlais de ma famille, de mes sœurs précisément. Il s’agit d’une pièce de théâtre que nous jouons—moi et mes sœurs—uniquement pour nous-même.

Lauren: On peut même dire que tu portes littéralement la voix des autres dans cette performance. Tu les portes épinglées sur un peignoir rose, un peignoir qui t’habille, voire qui t’épaissit, sur lequel est greffée une multitude de petits haut-parleurs. On ne sait plus si ce peignoir est une seconde peau recouverte d’écaille, ou encore une armure mais en tout cas, cette peau, elle s’exprime. Tu l’actives face à nous pour entretenir un dialogue entre toi et deux voix—préenregistrées et diffusées par ces haut-parleurs. Par un va-et-vient rythmé entre deux microphones sur pied, ton corps se déhanche de gauche à droite pour permettre à ces voix d’être amplifiées. Comment en es-tu venu à souhaiter revêtir la voix des autres, à t’en habiller?

Anne: Après mon exposition au Grand Café—centre d’art contemporain de Saint-Nazaire, j’ai eu envie de plus d’intimité entre la parole des autres et moi. Plutôt que d’exposer la parole des autres, j’ai eu envie de l’abriter. Je voulais une habitation pour la parole, que cette habitation soit mon corps. Avec ce peignoir, mon corps devient un abri pour que le groupe s’exprime. Quand je le porte, il y a le poids de la parole qui ancre mon corps, il s’épaissit d’un coup, il gonfle. Et en même temps, je me love dans les paroles qui m’enveloppent, elles parlent en mon nom, elles disent ce que je n’arrive pas à formuler. À la manière d’Herzog qui dans son film Au pays du silence et de l’obscurité place des haut-parleurs sur le ventre de personnes sourdes et muettes pour qu’ils ou elles sentent le son via les vibrations, j’ai eu envie physiquement de sentir la parole des autres, d’en être habillée, d’en être armée. Avec le recul, je me rends compte que ce peignoir est très en lien avec la pièce Parler de loin ou bien se taire(3)—sonore acquise par le Centre Pompidou—dans laquelle le montage audio a été pensé comme un corps humain. Certains mots correspondent à la place et à la fonction d’un organe. Par exemple le «and» est le cœur qui revient de manière régulière, qui accélère ou ralenti selon les contenus et qui est toujours présent. J’imagine qu’à force de traiter les mots comme des organes, il m’est apparu comme évident de les placer au plus prêt de mes organes à moi.
À l’avenir, je souhaiterais engager un nouveau cycle de performances avec ce même peignoir. Je souhaiterais que cette peau témoigne d’évènements passés, qu’elle serve de témoin, de relais entre la parole des un·e·s et les oreilles des autres, entre des groupes ou des individus qui n’ont pas pu ou pas voulu se croiser. Tout cela n’est bien sûr que spéculatif et je ne sais pas si cela marchera mais je souhaiterais trouver une possible réconciliation entre ce que j’écris et les voix que je porte à l’avenir. C’est l’un des enjeux de ce dispositif.

(1).Entretien avec Raphaël Brunel dans le magazine Zéro Deux, en mars 2017.

(2).Apolo One, performance, 30 min., 2020. Coproduction: Fondation Pernod Ricard, Villa Kujoyama et le festival Viva Villa. Ce projet a été développé lors d’une résidence en 2020 à la Villa Kujoyama avec le soutien de la Fondation Bettencourt Schueller et de l’Institut français. Conception et interprétation: Anne Le Troter. Conception technique: Guillaume Couturier et Pierrick Saillant. Voix: Lou Villapadierna et Antonin Horquin. Assistante: Lou Villapadierna.

(3).Parler de loin ou bien se taire, pièce sonore, 23 min., 2018.
Production: Le Grand Café—centre d’art contemporain, Saint-Nazaire et Nasher Sculpture Center (USA). Collection Centre Pompidou grâce aux amis du Centre Pompidou. Courtesy à Anne Le Troter et à la galerie Frank Elbaz.

Pour plus d'informations: Anne Le Troter

Toutes les deux on sera bien,

Anne Le Troter et Lauren Tortil, 2020